Pour de nombreux travailleurs, les conditions de travail sont précaires en Tunisie. Contrat de sous-traitance, ouvriers de chantier, contrats à durée limitée, outre le travail dissimulé dit « au noir », les formes précaires d’emploi privent des milliers de personnes de leurs pleins droits. Dans le secteur privé, c’est aussi la question de l’exploitation professionnelle qui domine.
Le Président de la République, Kaïs Saïed, a fait de ce dossier une priorité. Si, il y a quelques mois, il a appelé à abolir les contrats de travail de sous-trai – tance et à mettre fin aux contrats à durée limitée, jeudi dernier, il a renouvelé son appel au gouvernement pour s’activer et traiter définitivement ce dossier. En effet, le Président de la République a reçu au Palais de Carthage le Chef du gouvernement, Ahmed Hachani. Cette rencontre a été l’occasion pour le Président d’insister sur l’importance d’une réforme urgente du droit du travail. Lors de cette réunion, le Président a insisté sur la nécessité d’accélérer la préparation d’un projet de loi visant à abolir la soustraitance et les contrats à durée déterminée. L’objectif étant de protéger les droits des travailleurs qui ont été employés pendant des années sous le régime de la sous-traitance et qui sont aujourd’hui remplacés par de nouveaux travailleurs, laissant les anciens employés à la merci de la volonté de leur employeur. D’où cette déclaration : « Ceux qui ont passé des dizaines d’années à travailler dans un système proche de l’esclavage ne devraient pas voir leurs e f f o r t s m a n i p u l é s o u ignorés. Les pratiques de certains employeurs qui remplacent les travailleurs pour les maintenir dans une situation précaire, une stratégie visant à échapper à la loi et contraire aux principes fondamentaux de justice et d’équité, sont inacceptables». Estimant que les droits des employeurs doivent être équilibrés avec ceux des travailleurs, et la justice sociale exige que les deux parties soient traitées équitablement.
Les réformes essentielles du code du travail
Ces efforts marquent évidemment une étape importante pour réformer le cadre juridique du travail et améliorer les conditions de vie de milliers de travailleurs, tout en promouvant la justice sociale et l’équité. Sauf que ce chemin est long et périlleux, si on évoque la complexité des textes légaux relatifs au code du travail en Tunisie. D’ores et déjà, plusieurs questions se posent comment les autorités vont-elles procéder ? Ces réformes vont-elles toucher les secteurs public et privé ? La titularisation de plusieurs milliers de travailleurs et employés en situation précaire va-t-elle impacter la situation financière du pays ? Dans le secteur privé, là où l’on observe le plus grand nombre d’emplois précaires, on émet déjà des réserves à l’endroit de ces réformes. Le responsable au sein de l’Association tunisienne des petites et moyennes entreprises (PME), Abderrazak Hawas, souligne qu’il est impossible d’annuler les contrats à durée déterminée ou limitée dans le secteur privé. « L’impossibilité d’appliquer cette décision est due à l’existence d’entreprises ayant des besoins d’employés pour une certaine période, ce qui les oblige à recourir à des travailleurs occasionnels, comme c’est le cas pour le tourisme », a-t-il expliqué à La Presse. Abderrazak Hawas a également indiqué que les entreprises de sous-traitance ont émergé sous le régime de Ben Ali, en soulignant que de nombreuses entreprises ont transféré leurs employés aux entreprises de sous-traitance, ce qui a rendu la situation des travailleurs encore plus fragile.
Les sociétés de sous-traitance dans le collimateur
Ces réformes envisagées impactent en effet les sociétés dites de sous-traitance. Il s’agit de sociétés qui fournissent des services en mettant à disposition du personnel pour réaliser des tâches spécifiques pour le compte d’autres entreprises.
Ces tâches peuvent varier largement en fonction des besoins de l’entreprise cliente et des compétences des travailleurs.
Ces sociétés, bien qu’elles contribuent à résoudre de nombreux problèmes d’employabilité, génèrent des complications en termes de responsabilité et de conformité aux réglementations du travail du fait que la situation de leurs travailleurs reste particulièrement précaire.
A cet effet, Houcine Rehili, consultant en développement, explique que l’Etat tunisien a historiquement accepté de mettre en place des emplois et des contrats précaires, à l’instar notamment des ouvriers de chantier et ce qu’on appelle les « contrats de la dignité ». « Juridiquement, il n’existe aucune définition des emplois de sous-traitance en Tunisie. C’est un grand dossier et il concerne des milliers de travailleurs, car il existe aussi les emplois relatifs aux ouvriers de chantier et aux sociétés de l’environnement, de plantation et de jardinage », a-t-il insisté.
A la question de La Presse portant sur le sort de ces sociétés de sous-traitance, Houcine Rehili estime que la situation est floue, dans la mesure où «on ne peut pas accéder au nombre réel de ces travailleurs, d’autant que de nombreuses autres formes d’emploi précaire sont également concernées par ces réformes envisagées». « Ces employés seront soit limogés, soit intégrés dans le secteur public. Or la Tunisie s’est lancée dans une opération de maîtrise de sa masse salariale », a-t-il alerté, appelant la présidence du gouvernement à dissiper le flou.
Les emplois fictifs, l’autre grand chantier
Les sociétés de l’environnement, de plantation et de jardinage (Sepj), créées officiellement en 2011, dans le bassin minier et dans les zones pétrolifères, dans le but d’acheter la paix sociale et d’éviter les tensions syndicales, constituent également une autre forme d’emploi controversée.
Des milliers de personnes sont payées pour ne rien faire et revendiquent salaires et primes, alors que la situation environnementale et écologique est toujours la même, voire a empiré. Ces pseudo-sociétés posent problème dans la mesure où le fonctionnement, le recrutement des agents leurs missions ne sont pas identifiés. Et aucun gouvernement post-révolution n’a osé ouvrir cet épineux dossier. D’année en année, le nombre de recrutés augmente. Aujourd’hui, ils sont estimés à 13 mille employés, répartis entre le personnel de gestion et le personnel d’exécution. Selon nos informations, la Compagnie des phosphates de Gafsa détient le plus grand nombre, avec un effectif de 8.300 travailleurs, composés à la fois de cadres et d’employés d’exécution, dont environ 6.000 travailleraient pour la CPG.
En résumé, il est impératif de revoir le code du travail national, car des milliers de travailleurs sont dans une situation de précarité susceptible de provoquer des contestations sociales à tout moment, alors que d’autres sont payés à ne rien faire. Selon les experts, cette situation doit être traitée de manière globale, afin de mettre fin à l’emploi précaire et fictif en Tunisie.